“ … Considérons l’installation Les dédales d’Ariane (2001), qui s’approprie le mythe du Minotaure dans les Métamorphoses d’Ovide. Dans une petite pièce de la galerie L’Œil de Poisson à Québec, Tremblay a construit un labyrinthe à partir d’un faux mur érigé au centre de l’espace, a droite de l’entrée. Étant donnée la simplicité relative du lieu, l’expérience du labyrinthe provenait davantage des images accrochées au murs (afin de produire un parcours imaginaire) que du chemin emprunté par le spectateur. Les photographies, très schématiques et à l’esthétique minimale (pour ne pas dire symbolique), montraient le progression d’une femme vêtue de bleu à l’intérieur d’un jardin géométrique conçu comme un labyrinthe. Grâce à des savants jeux de composition photographiques, ce dernier est perçu tantôt comme un cœur (voir Au cœur de l’île cassée), tantôt comme une espèce de long serpent enroulé sur lui-même (voir Le serpent fil-en-soi). Une chose est certaine : le spectateur semble expérimenter le site ainsi que les images comme un voyeur (comparez Le buisson du pipi de L’éducation sentimentale et La fuite des méandres dans Les dédales d’Ariane, deux photographies dont la structure implique un spectateur-voyeur). Par contre, soulignons que dans l’installation, le spectateur incarne la figure d’Ariane et non celle de Thésée se faufilant dans les méandres. Encore une fois, la masculinité de la conscience spectatorielle est habitée par un regard féminin. De plus, en fin de parcours, nous sommes confrontés par une étrange image : devant nous, au centre du dernier mur — à savoir au cœur de la loge invisible — nous voyons un petit portrait. Il s’agit du visage défiguré d’Ariane se livrant à nous en couches multiples et superposées (voir Le minotaure-passager). Ici, nous faisons l’expérience de soi dans l’image de l’autre. Le labyrinthe se manifeste dès lors en tant que dispositif réflexif ayant pour but la dérobade du moi comme image ou, inversement, le dévoilement de l’activité du sujet dans le processus qui engendre le sens, mais au bout duquel aucun sujet tangible n’est enfanté. Par le truchement du labyrinthe, le spectateur tente de se voir voir, — un acte qui ne saurait fonder aucune véritable reconnaissance de soi. En effet, le dispositif exige que le spectateur expérimente un dépaysement afin de se retrouver dans l’autre. Comme dans la série Disparaître en bleu – Ein Spiel der Biosemiotik  de 2003, le portrait de soi est médiatisé par l’allégorie. 

Le thème de l’expérimentation de soi par soi a été repris plusieurs fois par Tremblay dès L’éducation sentimentale (2000). Il devient l’objet d’une recherche plastique dans la série Disparaître en bleu en se déployant sous l’égide de l’autofiction d’artiste. Ici, le moi est investit en tant qu’objet d’une expérience cognitive, affective et plastique dont le fondement sera une conception performative du regard intériorisé. Chacune à leur façon, ces images tentent d’objectiver le mouvement de la pensée elle-même et ses permutations en formes psychiques qui relèvent tantôt de l’allégorie narrative, tantôt de la métaphore picturale. …”

— Extrait du texte de Eduardo Ralickas dans la monographie Ève K. Tremblay, Tales Without Grounds

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